lundi, 22 juin 2009
Est-ce que la vérité intéresse la presse flamande ?
Si l'on en croit RTL-TVI, De Standaard online n'est plus, mais alors plus du tout une source d'informations sérieuse. On y lit aujourd'hui encore à propos de Kimberley Vlaeminck (la jeune fille aux étoiles) que : « La semaine passée, la fille s'est endormie dans le tatoo-shop de Rouslan Toumaniantz. Elle se réveilla avec 56 étoiles tatouées sur son visage ». D'abord, je rappelle que le conditionnel existe (aussi en néerlandais) et que rien ne prouve (notez ma certitude) que la jeune fille se serait endormie (notez le conditionnel) dans le tatoo-shop. Mais il y a pire…
…au même moment (aujourd'hui à 13 h 20), le site rtlinfo.be faisait paraître une version des faits tout à fait différente de celle du Standaard, et assez proche de mon récit fictionnel de samedi (voir plus bas), à savoir qu'elle ne se serait (conditionnel bien sûr) endormie à aucun moment, d'une part, et qu'elle aurait (idem) bien voulu les 56 étoiles. Sachant que j'ai basé mon récit d'avant-hier uniquement sur des interviews de Kimberley auxquelles chacun pouvait avoir accès sur internet depuis vendredi, et même si le sujet relève des chiens écrasés, je conclurais (notez cet autre conditionnel) que, soit De Standaard online est devenu la succursale des journaux à sensation qui ne reculent devant aucun sacrifice de vérité pour offrir du scandale à leurs lecteurs, soit il s'agit là d'une volonté délibérée de crucifier le tatoueur franco-russe, coupable un peu trop idéal pour être vrai.
Car il y a un aspect communautaire dont les flamingants pourront se féliciter, dès lors qu'au premier jour de l'affaire, plusieurs journaux flamands répétaient les mots de Kimberley : le tatoueur parisien ne parlait pas le néerlandais, mais uniquement français et anglais. Pour beaucoup d'extrémistes en Flandre, revoilà le Fransquillon arrogant et rabique qui refuse de s'adapter. De par son look repoussant d'une altérité plutôt violente, Rouslan Toumaniantz est de fait le méchant dans toute sa splendeur. Dans une société « normale », ce détail n'a pas d'importance. En Flandre, où l'on est obsédé, dans certains milieux et quelques organes de presse, par la supériorité technique, économique, intellectuelle et morale flamande, il va s'ajouter au « fonds de résonance » francophobe du lecteur ou du téléspectateur lambda.
J'ai ainsi trouvé assez facilement dans politics.be, la réaction d'un internaute : « En tout cas, ce qui lui est arrivé [à Kimberley] est inacceptable. Et ce Parisien doit apprendre le flamand s'il veut s'installer ici. […] En voilà encore un qui part de l'idée que nous, en Flandre, allons nous adapter et lui parler français. Mes bottes ! »
J'entends déjà certains commentateurs faire œuvre pacifiste en prétendant qu'il y a en fait une interprétation flamande pro-Kimberley et une autre francophone pro-Toumaniantz. Or, comme on peut le voir sur cette vidéo, les Hollandais, néerlandophones aussi, ont mené l'enquête que De Standaard et quelques autres, principalement en Flandre, ont sciemment négligée.
De son côté, la VRT, dans un article consécutif à l'interview radiophonique de Kimberley par Peter Van de Veire (MNM), n'hésite pas à publier : « Selon une enquête du dermatologue, la fille a également été tatouée beaucoup trop profondément. Normalement, l'aiguille va jusqu'à une profondeur de 3 millimètres. Sur son front, celle-ci piqua cependant jusqu'à 2 cm de profondeur. Ceci expliquerait immanquablement pourquoi la fille se serait évanouie. » Deux centimètres de profondeur ? Dans le front ? Rouslan serait (vous reprendrez bien un peu de conditionnel(le) ?) donc un dangereux tortionnaire ? Résumons : francophone, monstrueux, tortionnaire…
Bon, c'est vrai, cette affaire n'est pas très importante. Mais si la VRT et De Standaard, organes théoriquement les plus sérieux de Flandre, traitent de telles informations avec un sens aussi étrange de la vérité, on peut craindre que le paysage informatif flamand aille mal, très mal. Et que le personnage de Rouslan Toumaniantz, le tatoueur qui a tout pour déplaire à la ménagère de 55 ans, n'alimente chez certains téléspectateurs et lecteurs une image très négative de l'Étranger, francophone (mais aussi anglophone), installé en Flandre, ne parlant pas la langue. Si l'on cherchait à présenter l'Anderer(1) sous les pires traits, on n'irait pas chercher plus loin.
Je dois enfin préciser que j'ai trouvé le reportage de la télévision hollandaise sur Het Laatste Nieuws en ligne. Ce dernier serait-il devenu plus sérieux que le plus sérieux des journaux de la plus sérieuse partie du plus sérieux (notez l'ironie) des pays ?
(1) Personnage de l'excellentissime roman de Philippe Claudel, Le Rapport de Brodeck.
©Marcel Sel 2009. Cette article est en reproduction libre sous réserve de mention de l'URL du site et du nom de l'auteur.
18:14 Publié dans Humeurs du Nord | Lien permanent | Commentaires (4) | | Facebook | Imprimer | | |
Commentaires
Pour une fois, mille fois d'accord avec toi Marcel... la presse flamande s'est précipitée sur ce non-évènement de façon ridicule.
Je me demande même pourquoi on en parle. Laissons cela à Blik, TV Familie en zo voort...
(Note de Sel : j'ai effacé un gros mot visant Kimberley. Merci d'éviter les attaques personnelles insultantes.)
Écrit par : Bob | mardi, 23 juin 2009
Répondre à ce commentaireOk pour le gros mot. Au temps pour moi...
Ce mercredi matin, je suis assez stupéfait en lisant la presse.
La mort de Karel Van Miert, qui était un homme politique de premier plan, est à la une de tous les journaux flamands. Et nulle par en Francophonie...
A mon avis, les wallons ne savent même pas qui c'est.
Deux pays...
Écrit par : Bob | mercredi, 24 juin 2009
Répondre à ce commentaireUn tatouage tourne mal à Courtrai. Cela prouve donc que la Flandre est xénophobe et que la presse n' y est fiable.... LOL
Écrit par : wanda | vendredi, 26 juin 2009
Répondre à ce commentaire@Wanda. Maar neen. Je n'ai jamais écrit que la Flandre était xénophobe et je ne l'écrirai jamais. Relisez bien. Il est questions de « certains milieux ». Et la réaction d'un internaute, je ne l'ai pas inventée.
Cela dit, quand quatre jours après une révélation, certains journaux (c'est très souvent la VRT online et De Standaard) n'ont toujours pas donné une interprétation journalistiquement correcte des événements, la presse va mal. Mon billet d'aujourd'hui le confirmera, d'ailleurs.
Écrit par : Marcel Sel | vendredi, 26 juin 2009
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